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Retour aux sources ou refondation ? Réflexions autour des missions de la SASL des Pyrénées-Orientales (1833-2022…)
Sylvain Chevauché, archiviste paléographe, président de la SASL ; Clarisse Requena, docteur ès lettres, secrétaire générale de la SASL
Le 6 décembre 2021, 188 ans après sa fondation, la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales s’est dotée d’un nouveau conseil d’administration, après une dizaine d’années d’activité déclinante ayant conduit à un retrait quasi-total de l’association de la scène savante locale et nationale. Des défis se posent à ces nouveaux administrateurs. Faut-il, pour empêcher la SASL de disparaître, engager un retour aux sources ou au contraire repartir de zéro en reléguant délibérément son contenu et son message dans un passé révolu, pour la refonder en la modelant sur le discours dominant actuel, néolibéral et technophile ?
1. Caractérisation du modèle fondateur de la SASL
La Société se caractérise par des valeurs fondatrices exposées dans ce crédo dès le premier bulletin (1835) : « Faisons tous nos efforts pour qu’on puisse dire un jour : il y eut à Perpignan une société d’hommes à intentions généreuses, dont les travaux furent utiles à leur pays ». Ces valeurs sont : la dédication et le désintéressement absolus de ses membres ; le travail consacré à exposer et défendre le travail d’autrui plutôt que le sien propre ; la stricte neutralité politique ; la grande variété des opinions exprimées ; la multidisciplinarité. Bien que les membres les plus distingués viennent souvent de la bourgeoisie, on remarque la présence de nombreux agriculteurs et artisans qui communiquent leurs observations de terrain, mais aussi de femmes. La SASL, jusqu’à la création d’institutions spécialisées, a tenu un rôle pionnier dans l’amélioration des techniques agricoles dans le département. Une grande partie de son bulletin était dédiée à des textes littéraires.
Née à un moment où la Monarchie de Juillet cherchait, sous l’impulsion de Guizot, à refonder l’histoire du pays au lendemain d’une succession de régimes, la SASL a continué à accueillir toutes les sensibilités, sans conflit. Au départ, elle est liée au mouvement de refondation de l’unité nationale, qui passe par des inventaires du patrimoine architectural (en lien avec les Monuments Historiques), musical, etc., auquel s’adonnent ses membres. Cependant, la particularité des Pyrénées-Orientales, département frontalier à la forte identité catalane, se reflète dans son Bulletin qui, dès la fin du XIXe siècle, établit des liens très étroits avec le Félibrige et défend la langue vernaculaire dans un contexte de francisation.
2. L’avenir de la SASL : un retour aux sources
Il semble que l’aspect suranné et dépassé que l’on prête parfois aux sociétés savantes ne soit pas dû aux caractéristiques décrites ci-dessus, mais plutôt au fait qu’elles aient été perdues de vues ou dévoyées. N’opposons pas des valeurs « actuelles » ou l’utilisation de nouvelles technologies à ce message moral. Au contraire, le discours sur le bien commun est particulièrement pertinent dans le contexte de 2022. Les outils informatiques sont souvent aux mains de sociétés privées à but lucratif, et un certain discours dominant tendrait à soumettre l’homme à la machine, dont il adopte les processus et les exigences, alors que la machine ne devrait être qu’un auxiliaire pour permettre à l’homme de développer tous ses talents.
Dans cette perspective, le rôle d’une société savante comme la SASL est de faire des choix clairs : publier l’ensemble du contenu scientifique de ses publications, et si possible de ses archives propres, en « Open Source » via les plateformes existantes (Dialnet, etc.) – en travaillant au rapprochement et à la synergie avec les sociétés des autres départements ; ne pas hésiter à aborder dans ses colonnes et en conférences des sujets écologiques ou éthiques (le département n’est-il pas l’un de ceux où les terres agricoles et les milieux naturels reculent le plus au profit de la bétonisation ?) ; être le lien entre la recherche scientifique et des associations de bénévoles dédiées au bien commun, au carrefour de toutes les disciplines (préservation du milieu naturel et du patrimoine immatériel, vie citoyenne). Cette mission spécifique distingue une société savante d’une Université. Elle doit être une petite « académie », lieu de discussion et de débats, et non donner lieu à une relation binaire entre utilisateur et source d’information.
Les sociétés savantes portent une certaine vision de la société, délibérément du côté de la lenteur de l’échange et de la réflexion, du partage désintéressé : tout ne s’achète pas. Et il est à souhaiter qu’il y ait toujours des hommes pour la défendre.